LA SENORA

de Catherine CLEMENT


Genre : Roman Historique

Pourquoi lire ce livre ?

En résumé :

Au XVI ème siècle, une jeune femme et son neveu, juifs portugais, sont pris dans la tourmente de l’Inquisition et fuient à travers toute l’Europe, côtoyant les puissants comme les gens du peuple, jusqu’à trouver refuge dans l’Empire Ottoman. Les deux héros ont réellement existé et malgré des traces fragmentaires les concernant, Catherine Clément nous livre un récit épique grâce au fruit de ses nombreuses recherches. Le rappel chronologique des évènements de l’époque ainsi que la bibliographie nous font comprendre le travail colossal qu’elle a fourni.

Mon avis :

J’aime l’Histoire, cependant si ce n’est pas votre cas, vous pourriez vous laisser tenter par les romans historiques…

En effet, ces derniers ont la particularité de nous offrir plusieurs façons de les aborder.
Comment me direz-vous ?
Imaginons ensemble deux point de vue :

– le conte :

il était une fois un vieil homme qui, au seuil de la mort, racontait sa vie à son bouffon tout en sachant que sa malheureuse épouse en connaitrait chaque mot.
Son histoire commença avec une petite fille solitaire et songeuse à qui l’on confia son neveu (le narrateur), de cinq ans son cadet, dans l’espoir et d’assagir le garçonnet et d’ancrer un peu plus la fillette dans la réalité.
Mais la famille vivait dans la peur, cachant un lourd secret qui, s’il était découvert, la mettrait en danger de mort.
L’atmosphère familiale était pesante et les enfants vagabondaient près du port où ils rêvaient leur avenir commun.
Un jour les méchants frappèrent et ils durent partir.
Il y eut des fuites, il y eut des refuges, la vie continuait : on maria la jolie demoiselle, on instruisit le garçon, on l’initia aux affaires de la famille.
La jeune mariée eut une petite fille qu’elle aimait par-dessus tout. Elle n’en restait pas moins en proie à des périodes de méditation extatiques inexplicables qui la laissaient épuisée et l’on craignit souvent qu’elle y laissât la vie.
Devenue veuve, sortie violemment de sa léthargie extrême par son neveu, la belle dame prit une décision : elle sauverait toutes les personnes pourchassées injustement car elles ne croyaient pas au même Dieu que les autres. Elle ne permettrait pas que le malheur les frappe comme il avait frappé les siens.
Son neveu fut son bras armé, agissant dans l’ombre ou à découvert, familier des nobles comme des petites gens, tissant ainsi les liens nécessaires à la mise en place de ce projet audacieux et risqué.
Aucune trahison ne leur fut épargnée.
Leur vie fut une immense partie d’échecs, ils jouèrent avec les conflits des uns et des autres, subirent des défaites mais finirent par arriver à leurs fins.
Ceci accompli, ils trouvèrent refuge chez l’ennemi de leurs ennemis au prix d’énormes sacrifices et leurs chemins se séparèrent.
Sa vie durant, elle s’était entourée de personnages reconnus ou controversés qui l’éloignaient de ses devoirs, à chaque fois son neveu la ramenait violemment dans la vraie vie.
Lui resta sur place, se frayant un chemin dans cette société ni meilleure ni pire que les autres, mais qui les laissait en paix.
Elle, toujours en quête d’absolu lui expliqua enfin les raisons de son comportement qu’il n’avait jamais compris et s’en alla vers sa terre promise où l’on dit qu’elle mourut.

Voici donc le conte qu’il suffit de placer dans son contexte réel : l’Europe du XVI ème siècle, période troublée et pourtant flamboyante s’il en fut. Et si vous étiez conquis par la lecture d’un roman historique ?

le roman d’amour :

Deux enfants, un garçon et une fille, d’une même famille grandissent ensemble dans un monde hostile qui les oblige à fuir de pays en pays, leur enlevant tout repère durable. Cette enfance entre insouciance et angoisse cimente des liens extrêmement forts que même l’absence ou la mort ne pourra détruire. Elle est promise à un autre, lui ressent cela comme une trahison. Jusqu’alors il ignorait qu’il l’aimait et tandis qu’elle semble resplendir dans le mariage et la maternité, il est obligé de la côtoyer chaque jour pour apprendre à gérer l’entreprise familiale dirigée par cet oncle par alliance qu’il déteste autant qu’il hait et adore tour à tour cette tante trop jeune, trop belle…
Consciente de ce sentiment partagé mais interdit, elle se fait discrète et arrive à maintenir une barrière invisible entre eux. La mort subite de son époux bouleverse ce délicat équilibre.
Lui seul peut arrive à la forcer à vivre, elle seule peut le plier à sa volonté qu’il découvre d’airain. Il la secoue, tempête, rien n’y fait, il finit toujours par faire ce qu’elle lui demande. C’est ainsi qu’il se voit contraint d’enlever sa cousine, encore enfant, pour lui épargner un mariage imposé par la soeur d’un empereur. Il tente de gagner du temps, croit réussir, mais la mère refuse que sa fille tant chérie serve de monnaie d’échange, qui les rendrait esclaves des Puissants. Vient le moment où le mariage doit se faire pour échapper à ces mêmes dangers qu’il croyait derrière eux. Entre temps, la petite fille a grandi et, pour son malheur, elle aime désespérément ce cousin épris de la mère qu’elle vénère. Elle sent aussi que ces deux êtres qu’elle aime plus que tout au monde sont les deux pièces d’une même entité dont elle ne fait pas partie, ils se suffisent à eux-mêmes à l’exclusion du reste du monde.
il y a du Racine dans cette oeuvre, ici l’amour est tabou, impossible et tragique.

Maintenant vous pouvez lire ce livre dans son contexte historique et, qui sait, en arriver peut-être à apprécier ce genre littéraire

Amateurs d’Histoire ?

Pour vous qui aimez les histoire dans la grande Histoire, vous voilà servis !

Tous les personnages ou presque ont existé, vous les connaissez pour la plupart et je ne les nommerai donc pas ici. Mais que savez-vous de la famille Nasi – Mendez ?
Personnellement, je n’en avais jamais entendu parler. Bien sûr je connaissais la situation tragiques des Juifs (et aussi des Musulmans ou Morisques comme on les désignait) en Europe au XVI ème siècle mais pas de manière si détaillée.

Et voici ce qui m’a emballée, une histoire vraie et romancée, des descriptions tellement précises qu’on s’y croirait : on sillonne ainsi toute l’Europe et une partie de l’Empire Ottoman, sur les mêmes chemins parfois dangereux, dans les mêmes bouges ou palais, vêtus à la mode de chaque région, mangeant les mêmes plats et participant ou subissant les évènements historiques dont l’époque est jalonnée.
Nous sommes pris dans la tourmente avec Beatriz et son neveu Josef, nous nous immergeons dans cette communauté marrane et souffrons avec elle.
Grâce à sa ténacité, La Senora a permis le sauvetage de milliers de juifs et a réinvesti la Syrie – Palestine, territoire qui lui fut accordé par le sultan Soliman dit le Magnifique
Quant au Duc de Naxos, le neveu, les sources le concernant sont plus nombreuses, les avis quelquefois tranchés (surtout ceux des contemporains) mais même le meilleur spécialiste de la famille Nasi-Mendez, Sir Cecil Roth, s’interroge sur les intentions réelles de cet homme (le livre n’est malheureusement pas traduit en français comme beaucoup de ses écrits).

L’auteure en fait le narrateur, ce qui lui confère une légitimité certaine d’autant plus qu’il fut un réel acteur dans la politique menée et par les négociants juifs, il en était un lui-même et non des moindres, et par la Sublime Porte qu’il servit activement et secrètement sous le règne de Soliman le Magnifique et de son fils Sélim II.

Surprise, j’ai appris que les sultans, tout en ayant une marine fort efficace ne portaient aucun intérêt au Nouveau Monde, aux explorations maritimes apportant leur lot de découvertes en tout genre qui allaient pourtant changer l’Histoire. Pour eux, seule comptait la mer Méditerranée qu’ils tentaient de garder sous contrôle ainsi que leur volonté d’expansion terrestre, vers Vienne qu’ils rêvaient de conquérir…

Il semble que, déjà, ce mastodonte sombrait sans méfiance dans une somnolence dont le réveil brutal au XX ème siècle signerait la fin…

J’ai donc particulièrement apprécié de découvrir, telle Alice, un pays des merveilles où tous les coups sont permis rendant, à quelques exceptions près comme pour notre duc, l’échec mortel s’il n’est pas mat !

Je vous avoue que j’ai adhéré sans hésitation à sa vérité, son amour maudit, ce malheur premier qui guidera sa vie.

Et comment rester insensible aux souvenirs de ce vieil homme racontant et se racontant sans fard, conscient de ses forces comme de ses faiblesses parmi lesquelles l’Essentielle, à la fois l’une et l’autre, La Senora, son souffle de Vie autant que son Enfer personnel ?

Il a un double regard la concernant : le sien et celui des autres, l’intime et le public. Il va rageur ou euphorique de l’un à l’autre : depuis la mort de son Aimée, c’est devenu sa seule raison de vivre, car même sa mort ne lui appartient pas !
En effet, comme cadeau d’adieu, La Senora lui a laissé un écrit l’informant du moment où elle adviendra… Il sait et attend donc, résigné, cet instant tantôt craint tantôt espéré…

Cette femme qui a souffert autant que lui de leur malédiction, à l’image de celle de leur peuple, est son Tout, il se sent Juif seulement à travers elle…

Pour ma part, même si les diasporas juives ont toujours rêvé de leur retour en Terre d’Israël, je pense que c’est elle la première sioniste active et efficace de l’Histoire, mais comme elle était femme, son souvenir fut presque effacé des mémoires.
On en a l’habitude, d’où l’intérêt de ce livre.

Le plaisir que j’ai éprouvé en lisant ce texte est tellement grand que j’ai décidé de lire La Sultane, autre livre de Catherine Clément.
Je vous en parlerai bientôt…
En attendant, comme d’habitude, vous pouvez commenter tout à loisir dans la joie, la bonne humeur et la bienveillance.
Bonnes lectures à vous


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